Créer un site internet

Analyse psychocriminologique du mariage forcé

On parle plus couramment de mariage arrangé. Expression moins violente que la notion de force et de contrainte, celle d’arrangement est plus hypocrite. C’est pourtant bien un arrangement entre les parents de la jeune fille et le futur époux. Arrangement financier, arrangement social. Tout est combiné pour que le sang familial soit renouvelé intra familias.

Mais la notion de contrainte n’est pas du tout considérée par les deux camps : on force une femme à épouser un homme, donc à subir les relations sexuelles qui suivent généralement ce genre d’union. Cette femme doit en effet obéissance à son mari…

 

Obéissance et culpabilité : le lien d’emprise

La jeune femme, parfois jeune fille, est promise à un homme, souvent un cousin. Elle ne l’aime pas, souvent aussi ne le connaît pas. Parfois même, elle ne l’a jamais vu. Il arrive que trente ans ou plus séparent les deux futurs époux. Elle sait qu’à cause de ce mariage, elle va devoir renoncer à tous ses projets : études, travail, peut-être même petit ami…

Mais que faire ? C’est ancré en elle, dans sa culture. Depuis son enfance, elle sait qu’elle doit obéissance à ses parents. Elle leur voue le respect le plus complet, qui malheureusement, se confond avec la soumission. Aucun recul critique n’est autorisé. Pire : elle se refuse toute rébellion. Pas toujours, mais souvent, elle considère qu’elle ne doit pas faire de mal à ses parents en leur refusant quoi que ce soit. Et pour eux, refuser ce prétendant choisi bafouerait l’honneur de la famille. Cet homme est celui qu’ils ont choisi pour leur fille, il est donc le seul qui lui convienne. Elle sait que si elle refuse, soit elle sera reniée par ses parents, soit elle leur brisera le cœur. C’est comme s’il n’y avait pas d’alternative. Elle est prise au piège. Elle leur doit tout, elle les aime, ses parents. Si elle désobéit, c’est le déshonneur et un immense sentiment de culpabilité qui, pense-t-elle, va la noyer. Si elle obéit, elle se perd elle-même, mais l’honneur est sauf.

Il faut aussi préciser, car c’est essentiel, que tout un travail de fonds est réalisé pour attiser ce sentiment de culpabilité déjà très présent chez la jeune femme qui refuse le mariage. Beaucoup de mères font des tentatives de suicide, afin de montrer à leur fille combien leur trahison les a affectées dans leur chair. Les pères, les grands frères et oncles ne cessent de seriner les mêmes discours à la jeune femme, comme ils l’ont toujours fait : c’est un conditionnement qui s’élabore depuis le plus jeune âge. Plusieurs tactiques ont cours. L’une d’elles consiste à faire jouer la corde sensible chez la jeune femme : la dignité des parents, les qualités du prétendant, le bonheur au bout du chemin, le statut honorable, etc. Une autre technique consiste à terroriser la fiancée en la frappant, en l’humiliant, en la menaçant de mort en joignant parfois l’acte à la parole (arme blanche pressée sur la gorge), en la séquestrant, etc. Cette seconde procédure annihile complètement la jeune femme et achève sa chosification : elle n’est bel et bien qu’un objet et son entourage fait ce qu’il faut pour qu’elle le comprenne et l’assimile. Si elle tombe sur un mari violent, il ne fera que poursuivre ce travail de déshumanisation.

Dans ce genre de situation, la jeune femme n’est plus un être humain à part entière : un être subjectif et individuel. Elle est un objet à tous les niveaux : monnaie d’échange, esclave (cuisinière, femme de ménage,…), esclave sexuel, mère porteuse sans aucun droit ensuite dans l’éducation des enfants. Peu de femmes, encore aujourd’hui et quelle que soit leur culture, prennent conscience de cet état de fait : elles ont été conditionnées pour cela. Il est pourtant clair qu’un individu n’ayant pas le droit à la parole et à la liberté d’expression, à la liberté d’aller et venir, à la liberté de son apparence, à la liberté socio-professionnelle, n’est rien de plus qu’un esclave ou un détenu. Et encore, même les détenus ont le droit d’exprimer leurs opinions et de se vêtir à peu près comme ils le veulent (et le peuvent…).

 

Et cependant, nombre de ces femmes ne s’autorisent pas à se révolter, non seulement parce qu’elles ont peur, mais aussi –et surtout– parce qu’elles sont complètement aliénées à l’individu à qui on les a marié et à leur clan familial qui n’accepterait et ne pardonnerait pas un tel affront. La famille entière, les deux familles, ont décidé de ce mariage, il doit durer. La voix de la femme ? Elle ne compte et n’existe pas.

 

Les violences

Certaines violences, nous le savons aujourd’hui, sont sournoises et bien cachées. La contrainte est une forme de violence. Les relations sexuelles non voulues sont une forme de violence. L’esclavagisme est une forme de violence.

Que dire de la femme qui n’a pas le droit de sortir de chez elle et qui, si elle le fait, doit être de retour à une heure donnée ? Que dire de celle qui reçoit, plusieurs fois par jour, des coups de téléphone pour vérifier qu’elle est bien à la maison, ou savoir ce qu’elle fait et où elle est (si c’est un téléphone mobile) ? Comment qualifier les relations sexuelles que la jeune femme se croit obligée d’accorder à son époux parce qu’ils sont mariés et qu’elle est donc censée, d’une part, le satisfaire, d’autre part, lui donner un enfant ? Et qu’en est-il de la femme qui se voit forcée de répondre aux exigences d’une pratique religieuse – quelle qu’elle soit – qu’elle n’a pas choisie et auxquelles elle n’a pas nécessairement envie d’obéir ?

Le mariage forcé est une violence en lui-même puisqu’il contraint deux personnes à s’unir et à construire leur vie ensemble sans l’avoir choisi. Nous prenons ici le point de vue des femmes, car c’est celui qui nous est donné à voir au sein du mouvement NPNS et c’est malheureusement la femme qui est le plus souvent forcée au mariage. Mais nous savons que certains jeunes hommes sont parfois obligés d’épouser une cousine ou toute autre femme qu’ils n’ont pas choisie.

Dans le moins grave des cas, la jeune femme ou jeune fille se retrouvera avec un homme non violent, certes, mais qu’elle n’aime pas. Elle se verra forcée de partager son lit, d’avoir avec lui des relations sexuelles sans ressentir pour lui aucune attirance (voire en ressentant une forte répulsion physique), ce qui constitue un fait de viol. Notons qu’une loi a été votée en France interdisant le mariage forcé des mineures, mais que ce texte existe depuis peu. Cela induit donc l’existence sur notre territoire, de viols conjugaux de mineures antérieurs au vote de cette loi, et donc tacitement permis et toléré dans l'indifférence générale.

 

Quelle méthode victimologique ?

Lorsque nous parlons de méthodologie victimologique, nous ne pensons pas une méthodologie victimisante, mais bien une méthode d’intervention auprès de victimes de mariage forcé.

Il est clair que ce genre de situation déroute nombre de professionnels (assistantes sociales, travailleurs sociaux, médecins, éducateurs, etc.) peu habitués à traiter ce genre de problématique. Le mariage forcé a été remis à l’ordre du jour il y a très peu de temps, finalement. que faire et que dire à cette jeune femme victime d’un traditionalisme hors du temps.

L’écoute et la sérénité sont essentielles dans un premier temps, afin d’apaiser la jeune femme et de relativiser l’urgence. Il est important de bien cerner son discours, pour comprendre au mieux la problématique et le contexte familiaux. Dans un second temps, toutefois, pointer l’essentiel du discours permet de recadrer l’histoire de vie de la jeune femme. Il est également fondamental, lors de cette deuxième phase de l’entretien, de la rassurer en lui rappelant ses droits : oui, elle a des droits, et non uniquement des devoirs, et oui ses parents bafouent ses droits et la loi. Elle a besoin de s’entendre dire qu’elle n’est pas obligée de tout accepter et d’obéir aveuglément à ses proches. Il est important aussi de lui faire comprendre que certains parents sont capables de manipuler leurs propres enfants pour obtenir d’eux ce qu’ils veulent. Il faut souvent mettre en garde ces jeunes filles contre le risque d’être embarquées de force au pays pour y être mariées.

Mon travail n’étant pas celui d’une thérapeute [lors de l'écriture de cet article, j'exerçais en association, de manière ponctuelle], je me contenterai d’aborder l’aspect plus pragmatique que nous traitons avec la jeune fille dans un troisième temps, une fois que le stress et l’angoisse sont momentanément apaisés. Cette troisième et dernière phase de l’entretien consiste en un véritable plan d’action : nous dressons ensemble une liste des prochaines étapes à franchir (après avoir, au préalable, évalué le degré d’urgence et la dangerosité de la situation).

1°) Recherche ou non d’un hébergement en fonction de la date prévue du mariage (si date il y a), du contexte familial (présence ou non de violences), du risque de départ inopiné au pays et de la jeune fille elle-même (est-elle prête à tout quitter ?). Cette étape est importante, l’évaluation de l’urgence et de la maturité de la jeune fille y joue un rôle prépondérant : il ne s’agit pas de bâcler un départ pour ensuite assister au retour de la jeune fille chez elle et à un drame familial (violences, séquestration, enlèvement pour le pays, etc.).

2°) Conseils à suivre dans l’immédiat :

- Il est parfois judicieux de porter une plainte ou une main courante auprès du Ministère de la Justice. La juridiction compétente selon l’âge est celle du juge des enfants jusqu’à 21 ans et celle du Procureur de la République pour les plus de 21 ans. Il est toutefois souvent impossible pour la jeune de porter plainte contre ses propres parents. Il s’agit donc d’insister sur l’existence de la main courante qui constitue au moins un signalement en cas de harcèlement et de menaces par la famille : les autorités doivent être tenues au courant.

- En cas de départ différé, il faut rappeler à la jeune fille de bien rassembler ses papiers importants (administratifs, scolaires, etc.) et de préparer son départ en foyer en prenant contact avec un foyer spécialisé. Il est vital de lui conseiller de ne pas transmettre ses nouvelles coordonnées à son entourage familial.

3°) Conseils pour le long terme :

- suivre ou reprendre une formation souvent interrompue par les fiançailles ou les proches de la jeune femme

- chercher un travail et faire toutes les procédures administratives nécessaires à une réelle indépendance (inscription à la CAF, aux ASSEDIC, à l’ANPE, etc.)

- pour certaines, consulter régulièrement un psychiatre ou un psychologue (en général en Centre Médico-Psychologique car gratuité des soins)

- se poser des buts et des projets précis, afin d’effectuer progressivement les démarches permettant de les réaliser et de sortir de sa situation actuelle.

 

Il faut aider la jeune fille ou la femme à se projeter hors de son état actuel, pour lui redonner un peu d’espoir, sans illusion. Il est donc important de dessiner avec elle les contours d’un avenir pour l’instant flou, afin de lui montrer qu’un jour, cet avenir sera sien et ses contours en seront plus nets. Sans pour autant lui cacher les difficultés qu’elle rencontrera (il faut au contraire effectuer à ce niveau un travail préventif), il est essentiel de lui rendre ce qu’elle a souvent perdu : l’espoir et l’humanité.