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Fonctionnement groupal de l'entité familiale

La famille est un groupe, une entité constituée de plusieurs individus, donc de plusieurs psychismes. C'est une entité psychique composée de plusieurs inconscients qui deviennent, ensemble, un inconscient groupal. Cet inconscient groupal définit des schémas relationnels et de fonctionnement autour desquels va s’articuler et se construire le groupe famille. Ces schémas s’ancrent à la fois dans le présent et le passé familial, par le biais de la transmission transgénérationnelle. Ils génèrent les rôles intrafamiliaux sur lesquels vont s’axer les liens entre les membres de la famille.

 

L’inconscient groupal est un noyau psychique qui englobe tous les individus constituant le groupe. Il est ce qui les tient ensemble, en quelque sorte. Comme un corps dont ils seraient les organes. C’est pour cette raison que tout changement intervenant chez un membre du groupe aura nécessairement un impact sur l’ensemble du groupe. Nous le voyons, par exemple, dans le cas d’un patient, alcoolique depuis des années, depuis si longtemps en réalité que ses proches ont appris à fonctionner avec, et qui parvient enfin à devenir abstinent et à le rester. Il est fréquent que ce changement radical entraîne de grandes difficultés intrafamiliales : il faut en effet revoir tout le fonctionnement familial et tous les schémas relationnels reliant le patient à ses proches. Et ce n’est pas une mince affaire que de reprendre une place d’adulte auprès de ceux qui s’étaient habitués à vous surveiller comme du lait sur le feu, à vous materner, à vous soigner, comme un enfant.

Dans l’inconscient groupal, tout se partage. C’est ainsi que certains symptômes et modes de fonctionnement pathologiques vont contaminer tout ou partie des membres d’un groupe. Je pense par exemple, à des angoisses ou syndromes dépressifs qui, outre leur possible transmission transgénérationnelle, peuvent également se transmettre "horizontalement" d’un membre à l’autre. Il arrive aussi fréquemment que l’on observe dans une famille un même mode de fonctionnement de couple ou de parentalité chez les frères et sœurs. Dans un grand nombre de cas, l’on peut y voir la transmission transgénérationnelle du fonctionnement de couple des parents, et avant eux des grands-parents, mais également une sorte de code familial inconscient, une quasi répétition ou au contraire une radicale opposition à ces schémas. Pour illustrer ces propos, nous pouvons évoquer les familles matriarcales dans lesquelles la mère est toute puissante et où les mères seront toutes sur le même mode que leurs aïeules : dominatrices, castratrices. Il en va de même pour celles où les hommes sont tenus de diriger et où l’on peut observer cette même répétition de génération en génération et dans l’ensemble de la fratrie. Elle peut aussi se laisser entrevoir dans les places données aux enfants selon leur rang de naissance ou selon leur sexe, par exemple : dans certaines familles, l’aîné sera toujours le plus favorisé, dans d’autres au contraire ce seront les plus jeunes qui auront plus de faveurs que les aînés. Prenons l'exemple d'une femme dont la famille est symboliquement scindée en deux avec d’un côté les aînés nés au pays et les plus jeunes nés en France d’une part, et avec les garçons et filles, d’autre part. Les plus jeunes sont favorisés à tous les niveaux (alimentaire, affectif…) et les garçons ont toutes les libertés que leurs sœurs n’ont absolument pas. Pour lutter en partie contre ses schémas, cette jeune femme va inconsciemment donner une éducation plus exigeante et rude à son fils, et à sa fille beaucoup plus de liberté. Elle souhaite rompre avec cet inconscient groupal, en partie à travers son rôle de mère, et en faisant cela, se met elle-même en difficulté face à sa petite fille, toute puissante. L’autorité maternelle s’en trouve mise à mal, en rejetant la répétition. Une fois identifié, ce fonctionnement problématique pour son nouveau noyau familial peut être modifier, en restant toutefois dans la rupture avec la psychopathologie familiale de base.

 

De cet inconscient groupal vont découler des schémas de fonctionnement et relationnels. Ainsi, le lien qui se met en place entre les sujets, membres du groupe, ne doit rien au hasard : il est façonné de manière inconsciente par le groupe. Une relation d’adversité ou au contraire de complicité entre un frère et une sœur ne sera pas seulement due à leurs traits de caractère respectifs, mais également à ce que l’inconscient groupal leur insufflera. Certains parents, par leur comportement et leur propre lien inconscient à leurs enfants, vont provoquer et entretenir une relation conflictuelle entre leurs enfants (il arrive que cela soit tout à fait conscient, dans le cas de parents pervers, par exemple, qui vont sciemment installer une atmosphère belliqueuse au sein de la famille afin de maintenir emprise et pouvoir sur la fratrie). D’autres, a contrario, favorisent un lien positif et complice entre leurs enfants.

Au-delà des rapports linéaires entre membres d’une même fratrie, ces schémas s’appliqueront également de manière transgénérationnelle avec un report sur les générations suivantes (enfants, petits-enfants,…). Comme s’il fallait à tout prix respecter et maintenir ce code, les uns et les autres continuent inconsciemment à le perpétuer, tel un héritage familial.

Cette répétition semble fonctionner aussi en intrapsychique, avec la transmission transgénérationnelle de processus psychiques et de schémas relationnels. J’ai ainsi vu une patiente hériter du deuil non fait et de la dépression qui en a découlé de sa grand-mère maternelle. Certains syndromes psychopathologiques peuvent ainsi passer de père en fils, idem de certains modes relationnels : prenons l’exemple d’une fratrie de quatre, où l’un des enfants souffre d’un très fort sentiment d’infériorité, le second d’un syndrome dépressif, le troisième d’un égocentrisme et le quatrième d’une perversion narcissique. Il peut advenir de cela que les enfants de ces frères récupèrent symptômes et modes de fonctionnement parentaux, au moins en partie. Il est bien évident que l’éducation et l’environnement familial et social vont ensuite apporter leur touche au psychisme de l’enfant. Mais tout se passe comme si l’inconscient groupal de la famille veillait à préserver une homéostasie de l’ensemble des relations familiales, y compris celles qui impliqueront quelqu’un d’extérieur à ce groupe (conjoint, compagne,…).

L’inconscient groupal est parfois si puissant qu’il parvient à imposer ses schémas en dehors du groupe. Ainsi, les modes de fonctionnement familiaux s’installent dans la sphère amicale, professionnelle et de couple. Dans cette projection, certains individus n’appartenant pas au groupe famille vont se voir affublés des identités substituées et symboliques de père, mère, frère, … Cela peut s’illustrer par une jeune femme, terrorisée par ses parents et dont elle sait ne pas respecter les préceptes socio-culturels, puisqu’elle fréquente un homme de confession différente. Cette femme n’arrive pas à affronter ses parents et à imposer son propre mode de vie. Au travail, elle ne parvient pas non plus à faire face à ses supérieurs, un homme et une femme, qui la terrifient parce qu’en réalité elle leur a donné symboliquement et inconsciemment l’identité parentale.

 

Cette attribution d’identités symboliques peut aussi s’expliquer par celle de rôles au sein de la famille. En effet, l’inconscient groupal impose à chacun un rôle et une place immuables qui devront être conservés par chacun et la plupart du temps, repris par ses descendants. Ces rôles sont autant de personnages auxquels chaque membre du groupe semble être irrévocablement destiné, par une omnipotente volonté. La règle tacite veut que l’on ne change pas de rôle ni de place au sein d’une même famille : tout changement est extrêmement mal vécu par l’inconscient groupal qui va donc le bloquer autant que faire se peut. En effet, toute modification au sein du groupe entraîne nécessairement une mutation globale de ce dernier, car elle provoque des changements dans les schémas familiaux et dans les liens interindividuels.

A la naissance, donc, un rôle et une place au sein de la famille sont attribués inconsciemment à chacun de ses membres. Ces derniers devront s’y tenir, sous peine de se voir exclus du groupe (sauf en cas d’adaptation groupale). Il y a autant de rôles que de structures familiales, même si certains se retrouvent effectivement dans plusieurs familles : l’enfant thérapeute, le bouc-émissaire, le soutien familial, l’intouchable, etc… Ces rôles sont souvent associés à des qualités, des traits de personnalité que l’on colle à l’enfant et que celui-ci va – inconsciemment mais consciencieusement – entretenir. Combien de patientes ai-je entendu dire : « oh, moi, j’étais la sage de la famille » ou au contraire « la rebelle », la star, le clown… L’enfant ne peut que se plier à ce rôle s’il souhaite faire partie intégrante de sa propre famille.

Malheureusement, certains rôles sont pathogènes. L’enfant thérapeute par exemple est celui qui DOIT soigner le couple parental, ou la dépression paternelle ou maternelle. Il a été engendré non pour lui-même, mais pour mieux réparer un mal qui lui est antérieur (après une fausse couche pour remplacer le bébé perdu, ou pour combler une carence affective liée aux propres parents de ses parents, etc.). Cet enfant va porter la souffrance parentale et, en grandissant, aura souvent des difficultés à s’autoriser l’accès au bonheur et/ou à quitter ses parents pour vivre sa vie d’adulte sans culpabiliser. L’enfant bouc-émissaire a lui aussi un rôle et une place difficiles à assumer : il est celui sur lequel se cristallisent toutes les souffrances et non-dits familiaux. Au plus bas de la hiérarchie familiale, il ne compte que parce qu’il symbolise ce qui dysfonctionne dans la famille. Imaginez un peu le déséquilibre familial qui advient lorsque cet enfant, devenu grand, rejette ce rôle et, souvent, ceux qui le lui ont attribué. J’ai pu voir ce rôle réparti sur plusieurs enfants d’une même fratrie, au sein d’une famille nombreuse : ces enfants bouc-émissaires étaient les seuls à subir la maltraitance paternelle.

Certains rôles sont pathogènes pour les autres, parce qu’ils nuisent au bien-être de certains membres de la famille. Nous pouvons le voir chez cette femme qui s’est toujours sentie invisible parce que sa sœur était la star de la famille. Peut-être par effet de miroir s’est-elle vu attribuer de ce fait un rôle moindre, mais en tout cas, la conséquence directe du rôle de sa sœur sur elle apparaissait clairement dès l'enfance : elle n’avait plus la moindre place pour exister au sein de sa propre famille. Elle a donc « choisi » de se maintenir à cette non-place et de s’effacer complètement, sans doute en adéquation avec ce rôle qui était le sien. Adulte, également, elle a maintenu cette position sans vraiment réussir à adopter une place bien à elle, quel que soit son entourage. La fuite était devenu son mode de fonctionnement quotidien et elle n’arrivait pas à faire face à quoi que ce soit, et surtout pas à sa mère. Ce n’est qu’un exemple car bien entendu, plusieurs facteurs sont en jeu et se croisent pour en arriver à une situation actuelle : il serait réducteur en l’occurrence de décréter cette « pollution » par le rôle de la sœur comme unique cause de la situation adulte de cette femme. Toutefois, cela montre l’impact réel sur le comportement et les modes relationnels adulte d’un rôle attribué et conservé enfant, adolescent, etc.

 

Il est donc essentiel d’identifier ces schémas familiaux, ainsi que ces éléments d’histoire familiale qui permettent de mieux cerner les identités et modes de fonctionnement actuels. Le symptôme d’aujourd’hui est souvent la résurgence, le rappel ou la conséquence d’un hier enfoui dans l’inconscient groupal et individuel.